Les gourmands, les épuisés, les somnolents et les mondains ordinaires—tous sont attirés par les senteurs grillées du café. Amer mais si aromatique, corsé mais rempli de douceur, les grains noirs sont patiemment moulus et pressés, jusqu’à obtenir la boisson céleste.
Le « Fruit du diable » d’hier est devenu l’une des boissons les plus populaires, consommée matin, midi et soir sans relâche par des millions de personnes aux quatre coins du monde. Si vous avez déjà dû passer une nuit blanche ou bien survivre à une longue semaine de travail, le café a sûrement été votre petit remontant. Mais les vrais connaisseurs savent que le café est bien plus qu’une dose de caféine. Laissez-nous vous conter le délicieuse périple de l’or noir, de l’Éthiopie à l’Italie, en passant par les nombreuses nuances de saveurs en France, Espagne et bien plus. Alors faites-vous un café, installez-vous tranquillement, et savourez.
Au commencement, il y avait un berger, des chèvres et des baies rouges
Les histoires d’origine nous fascinent toujours, et celle du café n’est pas sans mystère. La légende dit qu’un jeune berger d’Éthiopie fut le premier à découvrir l’effet énergisant des baies rouges, voyant ses chèvres changer de comportement après en avoir broutées. D’autres mythes rapportent qu’un incendie aurait brûlé des caféiers, donnant ainsi la première torréfaction.
Outre les légendes quelques peu douteuses, les scientifiques affirment que l’histoire du café aurait bien débuté en Éthiopie, mais à la période préhistorique, où il était déjà consommé en tant que plats et breuvages ressourçants, des qualités à l’origine de sa première dénomination « kahwa », signifiant « ce qui ravit et incite à l’envol ».
Au XVe siècle, l’exportation des grains commença depuis Moka, au Yémen, vers l’Empire ottoman, la Perse et l’Afrique du nord. La boisson fût rapidement plébiscitée chez ces peuples musulmans, offrant une alternative sobre à l’ivresse de l’alcool, probité dans l’Islam.
Au XVIe siècle, le monde occidental en fit la découverte, à Venise en 1570, où il fût d’abord utilisé comme ingrédient médicinal. Ce n’est qu’au cours du XVIIe et XVIIIe siècles que le café commença à se propager dans le reste de l’Europe.
De la plante à la tasse
Les deux variétés de café les plus répandues dans le monde sont l’arabica et le robusta, chacune aux caractéristiques gustatives et nutritives distinctes.
L’arabica (coffea arabica) est le produit des hautes altitudes et donne un café léger aux arômes riches et marqués, légèrement acidulés, avec 0,8 à 1,5 % de caféine. Bien qu’originaire d’Éthiopie, la majorité de la culture actuelle se trouve en Amérique centrale et du sud, sur la côte Est de l’Afrique, et en Asie, représentant environ 70 % de la production mondiale de café.
Le robusta (coffea canephora) est originaire du Congo, en Afrique occidentale, et est une variété plus sauvage des basses altitudes. Comparé à l’arabica, les graines de café robusta offrent un café plus corsé et à l’amertume plus marquée, avec deux fois plus de caféine que l’arabica.
Le saviez-vous ? Bien que très controversé, le café arabica le plus cher du monde est le Kopi Luwak, issue de grains de café récupérés dans… les excréments du luwak, une civette asiatique d’Indonésie. Récupéré avec le noyau intact, le processus de digestion y donnerait le goût unique, avec des prix allant de 500 à 1000 € le kilogramme !
Le café italien : une histoire d’expertise passionnante
En Italie, boire du café n’est pas un simple plaisir solitaire. C’est un rituel social qui existe depuis l’ouverture du tout premier café d’Italie à Venise en 1683, sur la Place Saint-Marc. Mais comment un pays qui ne cultive pas le grain a pu devenir LA référence du café ?
Les Italiens ne se sont pas contentés de consommer le café, ils l’ont sublimé avec un savoir-faire unique, en innovant des systèmes d’extraction différents de l’infusion classique à la turque initialement utilisée. En 1948, Achille Gaggia mis au point la méthode d’extraction par pression, permettant d’obtenir l’espresso que nous connaissons aujourd’hui, soit un café plus concentré en arômes, et enveloppé d’une mousse crémeuse et dense, formée par la pression de l’air.
Préparé à base de café arabica, l’espresso est le pilier du café italien, un plaisir court mais intense bu en seulement quelques gorgées dans des petites tasses en porcelaine, aux comptoirs des fameux bars italiens et à tout moment de la journée.
L’espresso italien se décline en plusieurs versions selon les préférences :
- Espresso classique, appelé « caffè » : un shot d’espresso d’environ 3 cl
- Doppio : un double shot d’espresso
- Ristretto : espresso réduit et serré de 2,5 cl
- Lungo : espresso allongé moins intense avec deux fois plus d’eau
- Cappuccino : espresso de 2,5 cl avec ⅓ de lait écrémé et ⅓ de lait chaud
- Macchiato : espresso avec une goutte de lait
- Caffè con panna : espresso gourmand avec de la crème montée
- Caffè Freddo : espresso sucré et froid, passé au shaker avec des glaçons
- Americano : espresso mélangé à de l’eau chaude
- Caffè coretto : espresso mélangé à de la liqueur (grappa, sambuca, etc.)
En plus des bars italiens devenus le temple de l’espresso, l’invention de la cafetière Moka, communément appelée « macchinetta » (petite machine), a marqué une importante tournure socio-économique, transportant cet art culinaire dans tous les foyers italiens, alors réservé aux plus aisés.
Envie d’une pause espresso inoubliable ? Rendez-vous dans le plus ancien café d’Italie, Caffé Florian, ouvert en 1720 sur la pittoresque Place Saint-Marc de Venise. Installez-vous sur les bancs de velours rouge et buvez votre espresso accompagné d’une pasticcini, entouré d’une décoration vénitienne opulente de style Empire aux tons dorés.
Le café napolitain, l’apogée de l’espresso
À Naples, la culture du café prend une tournure sacrée. Dès la torréfaction, les grains de café se distinguent par leur couleur sombre, mélangés à une certaine quantité de grains robusta. Le café napolitain a alors un goût plus serré, ressemblant à celui du chocolat amer avec des notes d’amandes grillées.
Les machines espresso à levier sont privilégiées dans les bars napolitains, dont le café est finement et lentement extrait pendant une trentaine de secondes. À la maison, les Napolitains utilisent le cucumella, la cafetière napolitaine. Servi dans des tasses en porcelaine plus épaisses et plus basses préalablement chauffées, le café napolitain est traditionnellement accompagné d’un verre d’eau, à consommer avant, pour préparer vos papilles !
En plus de la différence gustative, certaines coutumes sont notamment propres à Naples, comme la tradition du caffè sospeso (café suspendu). Synonyme de partage, elle permet d’offrir un café à un étranger, pour lequel boire un café peut être un luxe. Alors la prochaine fois que vous irez à Naples, dites simplement “un espresso e un caffè sospeso, por favore!” et vous ferez le bonheur de quelqu’un.
Il est peu surprenant que l’espresso italien soit devenu la norme dans presque tous les pays européens, adopté et intégré aux rituels quotidiens au fil du temps, avec quelques variations.
L’espresso dans le pays du savoir-vivre
Le café français, c’est bien plus qu’un Parisien qui trempe son croissant dans une tasse de café au lait ! En 1669, le café fait sa première entrée dans la cour de Louis XIV, par l’intermédiaire de l’ambassadeur de Turquie, Soliman Aga, en mission diplomatique. Et devinez quoi ? Le roi n’apprécie guère et dit préférer le chocolat !
De nos jours, le café a été totalement adopté et intégré au fameux art de vivre, même si la majorité dit toujours « expresso ». Comme en Italie, le café est savouré sur place, qu’il s’agisse d’un petit noir pris au petit déjeuner avec une pâtisserie, ou d’un café allongé dégusté au bistro juste après le déjeuner.
Il n’existe pas de café « français », l’espresso étant largement consommé dans le pays, avec de nombreuses variations comme le café crème (avec une couche de crème), le café noisette (avec une fine quantité de lait, et non aromatisé à la noisette), ou encore le café allongé (équivalent du caffè lungo), tous traditionellement servis avec un carré de chocolat noir dans les bars et cafés.
Cependant, la cafetière à piston est une invention française des années 1900, mais contrairement aux Italiens, les ustensiles manuels ne sont plus en vogue et ont été remplacés par la machine à dosettes ou à capsules, le nouveau chouchou des foyers français.
À Paris, profitez de l’ambiance traditionnelle de café-bistro dans Le Bistrot du Coin. Installez-vous à l’une des petites tables sur le trottoir et commandez un café, accompagné de leur crêpe au chocolat ou de leur pain perdu au caramel.
L’Espagne et sa passion pour l’espresso lactée
Contrairement aux autres pays européens, le café s’est propagé un peu plus lentement en Espagne, le marché étant totalement contrôlé par l’État jusqu’en 1977. Auparavant, le café était traditionnellement conservé avec du sucre, brûlé lors de la torréfaction, donnant une saveur brûlée typique du café espagnol. Lorsqu’on parle de café espagnol, beaucoup pensent au carajillo, un espresso mélangé à du brandy et à du zeste de citron. Mais le rituel espagnol du café va bien au-delà d’un remontant utilisé initialement par les soldats espagnols au Cuba !
Les Espagnols préfèrent débuter leur journée en douceur avec un café con leche (café au lait) et prendre un petit déjeuner un peu plus tard. Tout au long de la journée, prendre un cortado après avoir mangé est très commun, un espresso très serré avec un nuage de lait non mousseux, servi dans un petit verre.
Mais lorsqu’il est question d’ajouter du lait au café, les préférences vont changer d’une région espagnole à une autre. Alors que vous pourrez vous prendre un ebaki au Pays Basque, une version très sucrée du café con leche, un nube ou un sombra sera plus commun en Andalousie (avec respectivement 90 % et 80 % de lait).
Pour un brunch gourmand, rendez-vous au Lolina Vintage Caffé, dans le quartier étudiant Malasana de Madrid. Dans un décor rétro des années 70 aux couleurs et motifs psychédéliques, commandez la formule de brunch copieuse composée d’un café, d’un croissant à la confiture, d’un bol de tomates à l’huile, de jambon ibérique et d’avocat.
Le café turc : retour à la case départ
Dans les années 1500, le café était déjà devenu une boisson couramment consommée chez le peuple ottoman, dont l’empire a longtemps contrôlé le monopole, avec notamment le tout premier café du monde ouvert à Istanbul en 1555.
La boisson historique du peuple s’est donc intégrée dans de nombreuses traditions, ajoutant une valeur unique aux moments collectifs, tel en atteste l’expression : « Bir fincan kahvenin 40 yıllık hatırı vardır » (Une tasse de café a 40 ans de mémoire). Depuis des siècles, il est servi en premier avec quelques loukoums lorsqu’on reçoit des invités.
Aux notes amères et denses, le café turc est couvert d’une belle mousse, à transvaser méticuleusement dans une petite tasse, depuis le « cezve » dans lequel le café moulu est cuit par infusion lente. Tout comme la cuisson, le café turc se boit très lentement, surtout vers la fin de la tasse afin d’éviter d’avaler la partie terreuse au fond. Mais si vous tombez dans l’erreur, vous pouvez boire l’eau servie avec, toujours gardée pour la fin.
Pour un bon café turc, direction l’historique Grand Bazar d’Istanbul, au Şark Kahvesi. Dans une ambiance totalement rustique aux meubles décorés de tapisserie typique de la Turquie de l’est, installez-vous et savourez l’un des meilleurs cafés turcs de la ville, cuit dans un cezve en cuivre, sur du sable chauffé.